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title: "Évolution de l'édition"
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L'édition est une activité qui regroupe plusieurs actions distinctes dont l'objectif commun est de faire circuler un texte, une connaissance, une création, une idée.
Cette activité a grandement évolué, les dimensions culturelles, économiques ou techniques n'étant pas les mêmes au quinzième et au vingt-et-unième siècles.
Il s'agit donc de montrer combien l'édition s'est transformée et se transforme encore, en abordant quelques-unes de ses figures (en Europe et en France) et en nous attardant plus longuement sur ses processus : du libraire aux plateformes, de la composition de pages imprimées à l'occupation d'espaces numériques, et de procédés artisanaux à une industrialisation massive.
À travers cette description nous établissons une définition (actuelle) de l'édition.


### 2.1.1. L'édition : une activité qui agit

Dans la perspective de l'étude de pratiques et de dispositifs éditoriaux, l'édition est, malgré une certaine polysémie, d'abord considérée comme une _activité_, et une activité qui vise à rendre disponible un texte, encapsulant par là toutes les étapes nécessaires à cette réalisation.

{{< citation ref="cnrtl_edition_2012" >}}
A. Reproduction, publication et diffusion commerciale par un éditeur d'une œuvre sous forme d'un objet imprimé.  
B. Préparation du texte d'une œuvre en vue de sa publication.  
{{< /citation >}}

Une première définition de l'édition est clairement attachée à des actions sur un contenu qui permettent de le rendre disponible et lisible.
Il s'agit d'accessibilité dans le sens de rendre disponible au public via différents canaux, et de compréhensibilité dans la préparation d'un artefact qui doit être consultable et mémorisable.

{{< citation ref="mollier_autre_2015" page="8" >}}
Avant de rendre public le texte d'un auteur, de le publier, l'éditeur digne de ce nom doit en effet le travailler et le transformer profondément pour en faire surgir ce qu'on appelle un livre.
{{< /citation >}}

La seule mise à disposition, la _publication_, ne suffit pas à définir l'édition.
L'étymologie du mot édition renvoie à la notion de _production_, le terme étant emprunté au latin impérial _editio_ qui signifie notamment "production, édition".
Éditer c'est _produire_ quelque chose, que ce soit dans le cadre de la "préparation du texte" ou pour la commercialisation d'un objet culturel.

{{< citation ref="mailloux_definition_1980" >}}
Une édition est constituée de l'ensemble des exemplaires produits en une seule ou plusieurs opérations à partir d'une même composition typographique. […] L'édition est essentiellement une opération manufacturière, vérifiable matériellement et objectivement.
{{< /citation >}}

Le terme _édition_ est pluriel et peut également renvoyer vers la question de la co-existence de multiples exemplaires et versions, ou vers deux activités distinctes.
Dans cet article de bibliothéconomie, Pierre Mailloux explique combien il est difficile de définir ce qu'est _une_ édition lors de l'opération de catalogage.
Le critère retenu est celui de la composition du livre, plus que celui du contenu (dans ce texte de 1980, rappelons-le).
Ainsi, une édition est considérée comme telle lorsque la composition du texte est différente d'une autre édition, à contenu équivalent.
L'enjeu est loin d'être anodin, définir précisément ce qu'est une édition permet de classer un document pour pouvoir le définir, le retrouver mais aussi pour lui donner une valeur symbolique.
Enfin, autre point d'attention nécessaire dans cette polysémie, la langue anglaise distingue deux termes pour résumer l'acception française de "édition" : _editing_ et _publishing_.
L'un concerne le travail sur le contenu (textuel ou non), et le second désigne les différentes étapes nécessaires pour produire et publier (voire commercialiser) un artefact.
Un _editor_ en anglais qualifie autant un éditeur de texte qu'un monteur de film, l'activité d'édition consisterait donc dans un réagencement de fragments ou de séquences.

{{< citation ref="quinqueton_pour_2019" >}}
L'édition de livres, imprimés ou numériques, joue un rôle central dans l’organisation du débat public. C'est même au cœur de la définition de l’édition qui consiste à placer des textes d’auteurs dans l'espace public et à stimuler leur visibilité.
{{< /citation >}}

Publier est une part de l'édition — et non l'inverse.
Le fait de rendre publique une information dans un espace public est l'une des conditions du fonctionnement des sociétés occidentales modernes puis contemporaines, et de la vie des idées.
Le livre joue un rôle décisif avec son format clos qui permet une diffusion via différents lieux comme des librairies, des bibliothèques ou d'autres espaces de médiation — marchands et non marchands.
En permettant de placer le livre dans ces espaces, l'édition devient une capacité d'agir.

Plusieurs éléments sont récurrents dans ces différentes définitions de l'_activité_ d'édition : travailler une matière (d'abord textuelle) qui provient d'un auteur/créateur ; faire exister un texte puis un livre dans un espace public ; utiliser des méthodes précises pour cette réalisation ; inclure la technique dans cette activité ; disposer d'une structure organisationnelle pour être en mesure d'éditer.

L'édition est un moyen d'agir, c'est une activité politique.
Il est primordial de prendre en considération cette dimension et donc la puissance potentielle d'une structure d'édition ou des personnes qui la représentent.
Quand bien même une telle structure semble _petite_ par la taille de son catalogue ou de son équipe, placer un texte dans l'espace public a un effet sur cet espace : répercussions médiatiques, réactions populaires, modifications sociales, débats citoyens, etc.
L'exemple de _L'insurrection qui vient_ est particulièrement marquant dans l'espace public français du début des années 2000 en France {{< cite "margantin_mots_2009" >}} : l'ouvrage est placé comme acteur clé dans l'accusation d'acte terroriste d'un groupe de personnes, dans l'affaire dite "de Tarnac".
Le livre est utilisé comme catalyseur d'un récit créé par le pouvoir judiciaire et qui sera ensuite démenti par la justice elle-même : "L’audience a permis de comprendre que le “groupe de Tarnac” était une fiction" {{< cite "seckel_proces_2018" >}}.
Pour toute activité d'édition il y a un pouvoir en action.


### 2.1.2. Historique d'un phénomène, d'une figure et d'un concept

L'édition, convergence de plusieurs activités humaines, est un domaine relativement méconnu dans l'espace public, dont la figure de l'éditeur{{< n >}}Dans la suite de cette section nous utilisons majoritairement le masculin, même si ce genre est loin d'être neutre. Historiquement l'édition est d'abord une activité d'_hommes_, ce qui explique notre usage du terme dans cette approche historique, en revanche aujourd'hui la situation a bien changé.{{< /n >}} est la partie la plus visible.
Lorsqu'il s'agit d'aborder les évolutions liées au texte ou au livre, l'activité d'édition est en effet rarement explicitée en détail.
De nombreux écrits sont consacrés au livre et à son contenu, moins aux procédés nécessaires à cet aboutissement.
Les articles de presse ou de magazine parlent du futur de la littérature, du futur du texte ou du futur du livre, mais presque jamais du futur de l'édition.
Les nombreux événements liés au livre ou à l'édition le prouvent d'ailleurs : ce sont presque toujours des "salons du livre" et rarement des "salons de l'édition" ou "des éditeurs et des éditrices".

{{< citation ref="eyrolles_les_2009" page="8" >}}
L'édition est un secteur largement méconnu, discret, voire mystérieux pour beaucoup.
{{< /citation >}}

La raison de ce "mystère" ou de cette discrétion repose probablement sur la dimension économique de cette activité.
Nous ne l'avons pas encore dit, mais l'édition est toujours une activité économique — économie marchande, non marchande, du savoir, etc.
Éditer c'est donc produire une valeur, valeur qui peut être échangée, valeur qui est décidée par celles et ceux qui font les livres.

Pour comprendre la naissance de l'édition et son évolution, il faut passer de l'activité à la personne qui exerce cette activité, l'éditeur.
La figure de l'éditeur est une figure ancienne, que décrit longuement Jean-Yves Mollier dans _Une autre histoire de l'édition française_ :

{{< citation ref="mollier_autre_2015" page="113" >}}
Innovateur et offreur à la fois de nouveaux produits et de nouveaux contenus, le libraire-éditeur, puisque telle sera longtemps l'appellation qui le désignera, créait de toutes pièces un marché qui s'ignorait et décidait de susciter une demande qui n'existait pas.
{{< /citation >}}

La formalisation de cette figure a lieu dès les débuts de l'imprimerie à caractères mobiles, donc dès le quinzième siècle, en France et en Europe.
Avant le "libraire-éditeur" évoqué par Jean-Yves Mollier, c'est le libraire-imprimeur qui assure l'édition et la production des textes.
Une rupture est opérée entre deux métiers qui sont aussi deux commerces : en France en 1810 un décret régularise l'activité de publication, avec un contrôle plus important des livres mis en circulation.
Ainsi, la conception et la vente du livre concernent le libraire-éditeur, alors que le libraire-imprimeur se charge de la production et de la vente.
L'origine de l'éditeur est donc autant dans la préparation du texte que dans sa commercialisation, entre ces deux phases se situent la fabrication et la production du livre.
Dès l'apparition de l'impression à caractères mobiles, le "libraire-éditeur" (et parfois aussi imprimeur) est l'intermédiaire entre l'auteur et le lecteur.

Plusieurs moments clés ont marqué l'évolution de la figure de l'éditeur, sur les plans culturel et économique.
Nous nous concentrons ici sur la situation française, d'une part parce qu'elle est longue et fait figure d'exemplarité en Europe ou en Occident, et d'autre part parce qu'elle est très documentée.
Après la distinction entre _éditeur_ et _imprimeur_ au début du dix-neuvième siècle, c'est au tournant des années 1830 que l'éditeur devient la "plaque tournante des métiers du livre" {{< cite "mollier_autre_2015" >}}.
Sans éditeur, pas de livre, et donc pas de circulation de la connaissance.
L'industrialisation du monde du livre qui débute alors, principalement grâce à l'accélération des moyens de production des livres imprimés, confirme cette position centrale.
Homme de lettres et libraire, l'éditeur est un intellectuel et un négociant.
Aujourd'hui, cette figure duale — quoique diluée dans un capitalisme omniprésent {{< cite "schiffrin_ledition_1999" >}} — est toujours celle de l'éditeur.
Autre particularité importante, l'édition, comme d'autres industries culturelles, est une économie de prototypes {{< cite "chantepie_revolution_2010" "40" >}}.
Étant donné que la réception des titres publiés ne peut pas être totalement anticipée, le succès d'un titre est incertain.
Les grands groupes d'édition tentent de fabriquer des succès, et ainsi de fabriquer des modèles reproductibles.
Quoi qu'il en soit il y a une part de prise de risque importante dans l'activité d'édition, faite de tests, d'essais, et donc parfois de réussites et d'échecs (échecs d'estime ou économiques).
Cette dimension de _prototypage_ a une incidence sur toute la chaîne du livre, et sur la relation entre économie et texte : la façon dont le texte est travaillé (_édité_) puis fabriqué (_publié_) est alors déterminante.
Il est alors nécessaire d'investir dans la formalisation de chaque texte, unique, tout en permettant une reproduction en grand nombre de ce contenu, et en espérant une reproductibilité pour les prochains titres.

L'édition s'est plus récemment constituée autour de phénomènes économiques tels que des regroupements ou des rachats, c'est le cas un peu partout dans le monde, nous nous focalisons ici sur la situation en France.
Dès le milieu du dix-neuvième siècle un mouvement de concentration des maisons d'édition est entamé par Louis Hachette, mouvement qui s'accélère fortement dans les années 1950-1960 avec Hachette qui absorbe de nombreuses structures éditoriales (comme Grasset, Fayard, etc.).
Au début des années 2000 nous assistons à un phénomène de concentration tel que le terme _oligopole_ est utilisé : le monopole (nombre de titres et flux financiers) appartient à une poignée de grands acteurs comme Hachette, Editis, Gallimard ou quelques autres.
Même si l'édition est un domaine de marchandage où les structures naissent, fusionnent, meurent et renaissent, le phénomène de concentration s'accélère à partir de la deuxième moitié du vingtième siècle.
De grands groupes d'édition apparaissent, jusqu'ici considérés comme des maisons d'édition déjà imposantes, et aspirent de nombreuses structures.
Le panorama des structures éditoriales marchandes est appelé un _oligopole à frange_ {{< cite "reynaud_dynamique_1982" >}}, en raison du petit nombre de très grandes structures qui occupent l'espace économique, et du grand nombre de moyennes et petites structures qui animent l'espace culturel.

Cet oligopole à frange est une spécificité de l'industrie culturelle en Europe et en France : pour que quelques grandes entreprises puissent être en situation de monopole il faut néanmoins conserver une certaine _bibliodiversité_, assurée par de nombreuses structures éditoriales de taille moyenne et de très nombreuses petites structures.
L'industrie du livre se structure aussi autour de deux grandes activités que certains groupes d'édition intègrent : la diffusion (opérations commerciales visant à faire connaître le livre) et la distribution (flux logistiques et financiers permettant de donner accès au livre au vendeur tiers), à la fois de leurs propres catalogues mais aussi ceux de petites et moyennes structures.
Et c'est ici que se jouent les questions de constitution de grands groupes, puisque la partie la plus rentable de ces véritables industries est justement la distribution ou la diffusion proposées (et parfois imposées) aux maisons d'édition du groupe ou aux structures externes qui ne disposent pas de ces services {{< cite "mollier_breve_2022" >}}.
L'équilibre, pour le moins temporaire ou précaire comme le démontre le feuilleton inquiétant des nombreux rachats, semble nécessaire entre des petites maisons d'édition dites indépendantes, et de grands groupes industriels — équilibre d'un point de vue purement financier.
La masse que représentent des titres produits en abondance par des grands groupes permet à d'autres titres — confectionnés plus artisanalement par des petites maisons d'édition — d'exister et de constituer une vie intellectuelle diversifiée.
L'édition est ainsi un phénomène culturel et économique, dont l'éditeur est une figure qui nous permet d'identifier l'émergence de cette activité et ses mécanismes.

Définir l'édition nécessite de s'attarder sur le fait que c'est également un objet de recherche en sciences humaines — notamment en sciences de l'information et de la communication — ce qui nous permet de considérer cette notion comme un concept, voire comme une théorie.
Les recherches sur l'écriture constituent un socle théorique sur lequel se basent les écrits sur l'édition.
Il est donc nécessaire de mentionner plusieurs courants de pensée, d'André Leroi-Gourhan {{< cite "leroi-gourhan_geste_1964" >}} à Anne-Marie Christin {{< cite "christin_image_2009" >}} en passant par Jacques Goody {{< cite "goody_raison_1979" >}} ou Jacques Derrida {{< cite "derrida_grammatologie_1967" >}}.
La question de l'_origine_ de l'écriture passe par une analyse de son image ou d'une recherche sur l'apparition et la construction de l'alphabet ou de l'idéogramme.
Un déplacement du regard sémiologique est opéré sur l'édition, définissant ainsi sa constitution, notamment grâce à la théorie de l'énonciation éditoriale {{< cite "souchier_image_1998" >}} proposée par Emmanuël Souchier et rejoint par Yves Jeanneret.

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Nous l'avons déjà dit, les questions historiques de l'édition sont très étudiées, notamment par Henri-Jean Martin {{< cite "martin_histoire_1988" >}}, Roger Chartier {{< cite "chartier_ordre_1992" >}}, Jean-Yves Mollier {{< cite "mollier_autre_2015" >}}, Robert Darnton {{< cite "darnton_gens_1992" >}} ou Yann Sordet {{< cite "sordet_histoire_2021" >}} — pour ne citer que quelques références situées en France.
Les _théories de l'édition_ se concentrent le plus souvent sur le champ de l'édition critique, soit la mise en relation de plusieurs éditions de textes généralement manuscrits et accompagnés d'un important apparat critique.
Si nous abordons l'édition critique par la suite{{< renvoi chapitre="3" section="3" >}} dans le cadre d'une étude d'un processus technique d'édition, elle ne concerne pas directement nos recherches.
Les enjeux liés à l'élaboration d'espaces de connaissance, par l'édition et en prenant en considération des processus techniques au-delà des seuls procédés d'impression, font l'objet d'études plus isolées.
À ce titre nous mentionnons les questions soulevées par le concept d'éditorialisation, concept qui embrasse le numérique, et que nous abordons plus longuement par la suite{{< renvoi chapitre="2" section="4" >}}.
L'édition est donc un phénomène, mais également un concept que justifient ces recherches académiques multiples.


### 2.1.3. Les trois fonctions de l'édition

Les procédés techniques d'édition disposent de nombreux ouvrages de documentation, abordant autant la réalisation d'un contrat d'édition, les systèmes de diffusion, la composition typographique, ou encore la compréhension du marché du livre.
Les rouages techniques et économiques sont expliqués dans des essais et des manuels, principalement pour répondre aux besoins pratiques des personnes œuvrant dans des structures d'édition.
Sans faire un recensement de ces références, nous pouvons noter plusieurs approches complémentaires.
Tout d'abord les _traités_ qui abordent toutes les facettes de cette activité au vingtième {{< cite "syndicat_national_de_ledition_monographie_1973" >}} ou au vingt-et-unième siècle {{< cite "schuwer_traite_2002" >}}, dans une perspective résolument économique.
Il s'agit d'énumérer les opérations d'édition, parfois dans une entreprise encyclopédique pour mieux cerner cette "industrie culturelle" {{< cite "eyrolles_les_2009" >}}.
Cela est particulièrement visible en constatant que ces ouvrages sont eux-mêmes édités par des regroupements professionnels ou des professionnels de la profession.
Par ailleurs, c'est moins l'activité qui est alors définie, que la figure de l'"éditeur".
Un volet _théorique_ est parfois intégré en préambule, notamment sur la définition des _fonctions_ de cette figure, comme le propose Philippe Schuwer {{< cite "schuwer_traite_2002" "15-38" >}} : la découvrabilité, la fabrication et son financement, la diffusion/distribution, la promotion du fonds, et l'obligation de résultats.
Les enjeux économiques recouvrent alors le projet intellectuel et la dimension de constitution du savoir et sa nécessaire transmission.
À ce titre, l'entretien avec Éric Hazan {{< cite "hazan_pour_2016" >}} constitue un texte utile pour comprendre les tensions entre différents types de structures, en lien direct avec les diverses opérations techniques et le projet politique inhérent à toute activité éditoriale.
Enfin, d'autres ouvrages proposent un regard plus large sur les perspectives de l'édition partout dans le monde {{< cite "macvey_perspectives_1976" >}}, ou se concentrent sur les aspects essentiels {{< cite "dessauer_book_1989" >}} pour qui souhaitent _éditer_ — ou _auto-éditer_.

Nous retenons plus particulièrement un ouvrage qui porte un regard théorique sur l'édition en tant qu'activité autour de trois fonctions centrales, détaillant ce qu'est l'édition dans sa globalité et sa complexité.
Outre le fait que _L'édition à l'ère numérique_ place justement le numérique en son centre, Benoît Epron et Marcello Vitali-Rosati élaborent plusieurs théories sans faire de dissociation entre un travail intellectuel et un travail technico-économique :

{{< citation ref="epron_ledition_2018" page="6" >}}
L'édition peut être comprise comme un processus de médiation qui permet à un contenu d'exister et d'être accessible. On peut distinguer trois étapes de ce processus qui correspondent à trois fonctions différentes de l'édition : une fonction de choix et de production, une fonction de légitimation et une fonction de diffusion.
{{< /citation >}}

Benoît Epron et Marcello Vitali-Rosati proposent une définition claire, synthétique et structurée de ce qu'est l'activité d'édition, en réalisant un travail de recherche scientifique également ancré dans des expériences pratiques{{< n >}}Marcello Vitali-Rosati co-dirige la collection Parcours numériques aux Presses de l'Université de Montréal.{{< /n >}}.
"La fonction éditoriale" est ainsi un processus divisé en plusieurs étapes et fonctions, centrée autour de la "médiation" : le travail sur le texte et l'artefact ; la reconnaissance accordée à l'acte et à la personne qui édite, puis appliquée à l'objet culturel ; et la transmission de cet objet dans un espace économique, marchand ou non.
Ce qui nous semble déterminant dans cette définition — détaillée sur plusieurs pages dans l'ouvrage _L'édition à l'ère numérique_ {{< cite "epron_ledition_2018" "6-10" >}} — est le fait de prendre en considération autant le texte que l'artefact final, de signifier l'importance de la légitimation, et enfin de ne pas omettre le rôle de médiateur du livre.

Autre distinction décisive et inédite réalisée par Benoît Epron et Marcello Vitali-Rosati, la séparation entre l'instance éditoriale et la maison d'édition.
Si les maisons d'édition ont, depuis l'invention de l'imprimerie à caractères mobiles, été les principales instances éditoriales, ce n'est plus forcément le cas depuis l'avènement du Web, l'édition n'est plus une activité qui leur est réservée.
Plusieurs exemples attestent de ce phénomène, et notamment la naissance de plateformes d'autoédition ou de publication en ligne sans figure d'éditeur ou d'éditrice.
Les fonctionnalités de ces plateformes, ainsi que leurs conditions générales d'utilisation, constituent alors peut-être de nouvelles formes d'instances éditoriales.

Nous considérons l'édition comme un _processus_ dont sont issus des artefacts très divers, tant en termes d'objets (produits) que de formes (fabriquées), comme nous l'avons vu précédemment{{< renvoi chapitre="1" section="2" >}}.
L'édition, en tant que processus, n'est pas une activité monosémique, il faut prendre en compte la diversité des pratiques, comme il existe une grande variété de formes du livre.


### 2.1.4. Des éditions

Il est vain de chercher une définition uniforme de l'édition, et il est plus pertinent de parler d'éditions plurielles{{< n >}}Tout en notant l'ambiguïté qui surgit, nous ne parlons pas ici des différentes _versions_ éditées.{{< /n >}}, quelle que soit l'époque.
De multiples formes d'éditions se succèdent ou cohabitent, les trois livres présentés dans le premier chapitre{{< renvoi chapitre="1" section="0" >}} de cette thèse l'attestent{{< n >}}_The Book_ et _The Book: 101 Definitions_ d'Amaranth Borsuk, _Busy Doing Nothing_ du collectif Hundred Rabbits, et _Exigeons de meilleures bibliothèques_ de R. David Lankes{{< /n >}}.

Plusieurs _types_ d'initiatives existent, se chevauchant parfois, autant en termes de domaines que de modèles.
Il y a ainsi une forte disparité de formes et de procédés éditoriaux entre la littérature, les essais, les ouvrages scientifiques, les livres pratiques, et les manuels scolaires ou universitaires (ou _textbooks_ en anglais), pour ne donner que quelques exemples.
Le travail de structuration, de composition ou de mise en forme pour produire un livre pratique sur la sérigraphie est très différent de celui pour publier un essai sur l'histoire de l'impression en occident.
Les modèles d'organisation varient également, cela est particulièrement visible entre une maison d'édition dite _indépendante_ (qui n'appartient à aucun _groupe_ financier) dont l'équilibre financier est fragile, des presses universitaires qui sont souvent rattachées à une université, ou un groupe de médias qui intègre maisons d'édition et chaînes de télévision.
Les contraintes financières, la liberté de publication, l'organisation interne ou encore la visibilité médiatique diffèrent entre ces types de modèles.
Pour reprendre deux livres déjà présentés et écrits et édités par Amaranth Borsuk{{< renvoi chapitre="1" section="1" >}}, _The Book_ publié aux Presses du MIT n'a pas été édité et produit dans les mêmes conditions que _The Book: 101 Definitions_ publié par Anteism.
Les deux ouvrages ne disposent pas de la même visibilité (nombre d'exemplaires et variété des espaces de diffusion et de vente) et de la même légitimité (reconnaissance des deux structures d'édition).
Il est ici nécessaire de prendre en considération le lien ténu entre la structure qui édite et la façon d'éditer, autant que celui entre les contenus d'un livre et la maison d'édition qui la porte.

En termes de diversité, les objets étudiés dans le cadre de cette thèse ont en commun d'être majoritairement issus d'initiatives non conventionnelles.
Par _initiatives non conventionnelles_ nous entendons des démarches qui questionnent les dispositifs techniques d'édition, fabriquent des formes livresques originales, ou se placent dans les marges (économiques et médiatiques) de la chaîne du livre.
Le corpus ainsi constitué présente autant de limites que de choix assumés : il ne s'agit pas d'établir un panorama exhaustif, mais d'analyser plusieurs initiatives et d'identifier des motifs et des modélisations.
Notre corpus est composé d'objets et de dispositifs dont les chaînes de production sont visibles et qui peuvent être étudiées.
Ces chaînes d'édition consistent en l'assemblage de logiciels ou de programmes qui traduisent une posture éditoriale et politique, il s'agit de démarches spécifiques qui établissent un questionnement continu de la technique, et qui ne peuvent se résoudre à adopter des produits logiciels pour l'édition sans une remise en cause profonde — quand bien même ces produits répondent à des besoins.
Ces structures non conventionnelles ont plusieurs points communs : une volonté de construire le référencement de leur catalogue, souvent hors des canaux habituels ; une qualité éditoriale élevée, y compris avec des artefacts se distinguent formellement ; la constitution de communautés actives qui permettent une diffusion ; la recherche et l'expérimentation de modes de fabrication et de production originaux ou inédits.

Se placer à la marge des maisons d'édition les plus visibles — et les plus étudiées — participe à cette diversité de formes et de pratiques.
Notre définition de l'édition doit parvenir à intégrer ces spécificités, tout en la considérant comme un outil de notre recherche.


### 2.1.5. Pour une définition actuelle de l'édition

Qu'est-ce que l'édition aujourd'hui ?
Les chercheuses et les chercheurs qui ont répondu à cette question sont nombreux, comme Henri-Jean Martin {{< cite "martin_histoire_1988" >}}, Roger Chartier {{< cite "chartier_ordre_1992" >}}, Jean-Yves Mollier {{< cite "mollier_autre_2015" >}}, Robert Darnton {{< cite "darnton_gens_1992" >}}, Pascal Fouché {{< cite "fouche_ledition_1998" >}}, André Schiffrin {{< cite "schiffrin_ledition_1999" >}} ou Sophie Noël {{< cite "noel_ledition_2012" >}}.
Benoît Epron et Marcello Vitali-Rosati, après eux, proposent une approche qui nous intéresse plus particulièrement, elle consiste à produire une description conceptuelle qui ne délaisse pas la technique, à ce titre elle est utile à notre démarche générale de recherche sur les processus d'édition.

{{< definition type="definition" intitule="Édition" id="editiondefinition" >}}
L'édition est un processus technique qui fabrique du sens sous la forme d'artefacts, comme le livre.
L'édition est une activité située dans des environnements économiques (marchands et non-marchands), elle se décompose en des étapes précises qui peuvent varier selon ces environnements et selon le projet politique associé.
L'édition comprend un travail de clarification et de mise en relation de contenus, sur et autour d'un texte, produisant une légitimation à plusieurs facteurs.
La préparation de la diffusion des contenus — rassemblés, sélectionnés, travaillés, et légitimés — fait partie intégrante de l'édition.
Au cœur de la démarche d'édition se situe la fabrication et la production de formes et d'objets éditoriaux, des artefacts qui révèlent ces façons de faire.
L'édition est enfin un concept, principalement en raison des recherches académiques dont elle fait l'objet.
{{< /definition >}}

Il s'agit désormais de prolonger ces réflexions sur le processus, et de quitter les questions de chaîne du livre ou d'organisation pour explorer plus précisément ses rouages.
Cette définition de l'édition centrée sur le _processus_ doit désormais être complétée avec une double dimension d'acte et de dispositif.