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title: "Un parcours conceptuel du livre au logiciel"
chapitre: 6
section: 1
bibfile: "data/05.json"
_build:
  list: always
  publishResources: true
  render: never
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Notre démonstration a permis de répondre à la question des relations qu'entretiennent le texte et la technique dans les opérations d'édition.

Cette démonstration a tout d'abord été possible en analysant ce qu'est un livre.
L'établissement d'une définition conceptuelle{{< appel identifiant="livre" >}} nous a effectivement permis d'articuler fonctions et aspects, et de délimiter les dimensions techniques inhérentes au livre.
L'analyse des procédés de reproduction, depuis l'impression à caractères mobiles jusqu'à ce jour, révèle une évolution qui correspond globalement à celle de nos sociétés occidentales.
Les _formes livresques_ portent en elles leurs conditions techniques, le livre est _matériel_.
L'étude de cas d'une démarche singulière d'édition, l'ouvrage _Busy Doing Nothing_ du duo Hundred Rabbits, confirme cette dimension intrinsèque du livre.
Notre définition est alors complétée, considérant cet objet _matériel_ comme un _artefact_, c'est-à-dire le résultat d'opérations de fabrication et de production, le livre portant ainsi en lui les traces des dispositifs techniques nécessaires à son existence{{< appel identifiant="artefacteditorial" >}}.
L'étude du livre _Exigeons de meilleures bibliothèques_ de R. David Lankes, publié par les Ateliers de \[sens public\], en tant qu'il est constitué de plusieurs formats et versions, donne à voir un processus technique dont il est le résultat.
Partant de l'objet, nous avons pu justifier l'intérêt de nous concentrer désormais sur le _processus_.

L'édition{{< appel identifiant="editiondefinition" >}} est une activité profondément technique, dans laquelle sont entremêlées des opérations de modélisation, de révision, de composition, d'agencement technologique ou d'établissement d'une diffusion.
L'édition est un acte{{< appel identifiant="acteeditorial" >}} car il s'agit d'un dispositif en action, qui agit autant sur le monde via la production d'un artefact que sur la personne qui l'utilise.
Nous remettons en cause l'idée selon laquelle la technique serait neutre, surtout dans l'activité d'édition.
Les enjeux politiques inhérents à toute technique et à ses usages sont révélés dans la manière dont Abrüpt édite ses livres.
Dans la mise en place de processus techniques d'édition, cette structure d'édition fabrique des objets qui participent ou qui engagent une éditorialisation{{< appel identifiant="editorialisation" >}}, soit des dynamiques constituantes qui forment un cadre méthodologique.
L'étude du dispositif technique développé pour fabriquer les livres des Ateliers de \[sens public\] confirme cette hypothèse selon laquelle les modèles épistémologiques sont constitués à travers un acte d'édition.

La description de cet environnement, le _numérique_, qui est désormais le nôtre, est prolongée par l'analyse du numérique en tant que culture(s) et en tant qu'il dispose d'une dimension réflexive agissante{{< appel identifiant="numeriquedefinition" >}}.
La place qu'occupe le numérique, ou plutôt l'espace constitué par le numérique, engendre un changement de paradigme dans la constitution de nos environnements techniques.
Cela est particulièrement visible dans le domaine de l'édition, et plus précisément avec l'apparition du livre numérique{{< appel identifiant="livrenumerique" >}} comme phénomène d'_homothétisation_.
Emblématique d'un rapport complexe avec le numérique, il nous permet de distinguer trois positions : publier _dans_ le numérique avec le livre numérique homothétique ; publier _avec_ le numérique en l'utilisant tout en prolongeant une tradition de l'imprimé ; publier _en_ numérique en prenant en considération les processus techniques comme constitutifs de pratiques protéiformes et d'artefacts variés et variables.
L'étude de cas de la chaîne d'édition Ekdosis, conçue pour l'édition critique, est significative de ce _publier avec le numérique_.
La relation originelle entre l'édition numérique{{< appel identifiant="edn" >}} — en tant que _publier en numérique_ — et les humanités numériques nous permet de mieux comprendre les dimensions réflexives et critiques nécessaires dans toute élaboration d'une modélisation.
Cela se confirme avec l'étude de cas du recueil _Le Novendécaméron_, où le dispositif technique a été développé de concert avec l'édition des textes de ce livre web et imprimé.

Notre étude du format s'inscrit dans notre recherche en tant qu'elle explore les processus techniques d'édition.
Définir ce qu'est un format{{< appel identifiant="format" >}} est essentiel dans l'analyse des dispositifs d'édition, et vient encore confirmer le lien ténu entre la technique et l'édition.
Nous le démontrons avec le cas de formats qui découplent l'acte de sémantisation d'autres opérations éditoriales.
En s'affranchissant des logiciels qui masquent la dimension sémantique de l'écriture et de l'édition, il devient en effet possible de définir des formats qui expriment le sens tout en le séparant de sa modélisation afin de produire des artefacts.
C'est également ce que révèle l'étude du langage de balisage léger Markdown, et la nécessité de le considérer en tant que format _à convertir_.
Nous définissons ainsi un acte éditorial sémantique spécifique, le _single source publishing_ — l'édition multi-formats à partir d'une source unique{{< appel identifiant="singlesourcepublishing" >}} —, où l'imbrication des déclarations sémantiques et de leur modélisation apparaît comme une opportunité de nouvelles pratiques — et non un horizon productiviste.
Ce chapitre se clôt sur l'étude de cas du module d'export de l'éditeur de texte sémantique _Stylo_, en tant que démonstration pertinente d'une modélisation éditoriale — ici dans la publication savante.

En débutant par une critique du logiciel{{< appel identifiant="logiciel" >}}, le dernier chapitre s'appuie sur les concepts d'artefact éditorial, de dispositif éditorial, d'éditorialisation, et de _single source publishing_ pour définir précisément ce que nous appelons _fabrique_.
Notre critique se construit dans le contexte des pratiques d'édition du champ des lettres — littérature au sens large, publications savantes et scientifiques —, où la place prépondérante des logiciels de traitement de texte et de publication assistée par ordinateur nous invite à questionner notre rapport à la technique — encore.
C'est du côté des designers graphiques que de nouvelles perspectives d'outillage forment un double courant de réappropriation : le _creative coding_ pour les questions générales de création de programmes adaptés aux besoins spécifiques de production d'artefacts éditoriaux ; le _CSS print_ dans le cas de l'utilisation des briques ouvertes que constituent les technologies du Web pour paginer et imprimer des livres.
La maison d'édition C&F Éditions fait partie des structures qui décident d'adopter des pratiques non conventionnelles d'édition, et construisent ainsi des modélisations éditoriales libérées des logiciels, tout en devant faire face à un certain nombre de contraintes éditoriales et techniques.
Notre définition du concept de _fabrique_, à partir des théories de Tim Ingold et de Vilèm Flusser{{< appel identifiant="fabrique" >}}, nous amène à considérer le phénomène de _fabriques d'édition_ comme imbrication des dimensions techniques de tout acte éditorial{{< appel identifiant="fabriquededition" >}}.
Nous ne généralisons pas ces pratiques protéiformes et plurielles, mais nous identifions des traits communs originaux qui forment une convergence.
Pour donner un autre éclairage à ce concept et à ce phénomène, nous présentons nos propres pratiques d'édition qui s'inscrivent dans le cadre de la réalisation de cette thèse.
Nous démontrons, avec cet acte performatif, que ce processus de recherche scientifique, qui dispose d'une dimension éditoriale, est aussi une modélisation épistémologique qui se traduit par des choix techniques divers.
La structure des sources, l'identification des concepts, les renvois entre les différentes parties du texte ou encore l'identification des types de section, participent autant à la thèse que la rédaction ou la correction du texte.

À travers ce parcours nous parvenons à confirmer notre hypothèse : en interrogeant notre rapport à la technique et en critiquant les dispositions et les dispositifs techniques d'édition, des modélisations éditoriales et épistémologiques inattendues émergent.
Notre recherche constitue un apport pour les sciences de l'information et de la communication, et plus spécifiquement les études de l'édition — voire du livre.
Le phénomène de _fabrique d'édition_ constitue en effet un cadre d'analyse pour observer des pratiques d'édition, et le concept de _fabrique_ peut permettre l'analyse d'un phénomène semblable dans le travail d'écriture et les enjeux d'auctorialité.